Envoyé par Bernadette le 20 juin 2021
UNE VUE SPLENDIDE
de Fang Fang
Au début de la pandémie et du confinement de la ville de Wuhan, Fang Fang a tenu un « Journal de quarantaine » entre le 7 février et le 20 mars 2020, rendant compte de la vie et des souffrances des millions d’habitants de cette ville pendant la crise sanitaire qui a frappé Wuhan en priorité. Cela m’a incitée à relire une de ses nouvelles « UNE VUE SPLENDIDE » (FENG JING) publiée en 1987, livre pour lequel elle a obtenu le prix de la meilleure nouvelle et qui a ouvert la voie au mouvement néo-réaliste.
Une famille de 9 enfants (2 filles et 7 garçons) et leurs parents vit dans une cabane sordide de 13 mètres carrés secouée par le passage incessant des trains.
L’histoire de la famille est racontée par Petit Huitième, qui mourra à 16 jours. Enterré sous la fenêtre, il observe depuis son cercueil les tribulations de la famille. De façon ingénue et réaliste, Petit Huitième décrit les existences misérables de ses parents et de ses frères et sœurs pendant la Révolution Culturelle puis la libéralisation de la Chine pour essayer d’avoir une vie meilleure.
Le père est alcoolique et violent, la mère aguicheuse, se laisse battre sans pour autant séduire d’autres hommes.
La sœur ainée, Grand Parfum, se marie à 18 ans et mène une vie tranquille.
Deuxième frère, le seul de la famille à donner un peu de douceur dans cet environnement cruel, se plonge dans les études mais, déçu par une fille dont il tombe amoureux, se tranche les veines et se suicide.
Troisième frère est à l’image de son père, une brute mais, bien que de caractère totalement opposé, Deuxième et Troisième frères s’entendent à merveille. D’ailleurs, Troisième Frère se remettra difficilement de sa mort.
Petit Parfum, la deuxième sœur, est de même nature que sa mère, mais à la différence de sa mère, elle change très souvent d’hommes.
Quatrième Frère est sourd et muet, son infirmité lui a permis de grandir heureux dans la famille et de mener une vie tranquille une fois adulte en épousant une aveugle, leur couple se complétant parfaitement.
Cinquième et Sixième Frères sont jumeaux et leurs cœurs sont interconnectés. Chacun trouve femme dans la même rue, ont chacun un fils à trois jours d’intervalle
Septième Frère, des son enfance, est obligé de dormir sous le lit des parents, faute de place. Sa faim est immense et « quand il voyait les gens manger, la bave lui coulait sur le menton ». Bravant l’interdiction paternelle, il part faire des études et obtient un diplôme universitaire et réussit brillamment.
Vingt ans se sont écoulés et Huitième frère, de son cercueil, ne reconnait plus sa ville : les vieilles cabanes sont détruites et remplacées par des immeubles « où Père ne pourra dormir car il ne pourra pas s’imprégner du souffle de la terre ».
Il ne reste plus à Père que Huitième Frère dont il va sortir le cercueil pour l’enterrer dans la montagne à coté de Deuxième Frère. Huitième Frère peut alors dire : « Je ne parle pas, je me contente de regarder calmement et éternellement là-bas, au pied de la montagne, vers cette vue splendide en perpétuelle transformation », transformation qui est celle de la Chine et qui justifie le titre du livre.
Huitième Frère, sous son regard ingénu, ne se souciant pas des convenances, ni portant de jugement de valeur, peut décrire les situations les plus terribles comme les plus émouvantes. Une famille pauvre de neuf enfants dans une ville chinoise ordinaire, c’est un livre très poignant.